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Le Butin

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5 mars 2007

Un pour la route

Jeudi 1 mars 2007

_ Deux Sdf assis par terre. Ils me demandent une pièce alors que je sors du tabac. J’en pose deux au hasard. L’un des deux me demande si je connais les dieux incas : « Ils mangent les cœurs » me dit-il. Je ne trouve rien à répondre. Je suis en train de me demander si je ne leur aurais pas donné une pièce de 2 €. En fait, je pensais qu’il n’y avait que les hommes pour manger le cœur des autres.

_ Mon tour arrive à la caisse du supermarché. La jeune femme qui vient de fermer sa caisse juste à côté me passe devant, pose ses avant-bras pour s’appuyer à la caisse et commence à bavarder avec sa collègue.

Le client d’avant est encore en train de ranger ses courses et de payer. Pour l’instant tout va bien. Sauf que les caissières sont sévères.

« Devine qui j’ai eu ce midi. Oui, celle-là. »

Elles parlent du comportement « bizarre » d’une cliente habituelle du magasin. « Oh là là, j’ai du mal à me retenir. Je peux pas la supporter. »

La caissière en fin de service relève la tête : une responsable vient de crier son nom. « T’as rien à faire ?

- Non, j’ai fini. On discute. »

L’autre caissière, elle, jette un coup d’œil au client précédent. Puis son regard s’arrête sur moi : « Bonsoir ».

Sa collègue a dû me laisser la place devant la caisse, mais elle poursuit leur échange tête baissée : « On peut parler, quand même. On travaille, alors on a le droit de discuter. »

Dans la queue, nous hochons vaguement la tête ; d’autres la baissent carrément. Il est 21h45. Le magasin ferme dans un quart d’heure et les files s’allongent. Les caissières ont flairé l’écurie. Les chefs guettent un dernier coup de feu.

 

_ Je repartais vers chez moi. Je bifurque à gauche, traverse la rue et entre au café Chastel.

Le patron prépare deux cafés. Il en pose un devant moi. L’autre est pour mon voisin, déjà accoudé devant un verre à pied miniature. Je pense Café-Calva.

Les trois autres personnes au comptoir sont des jeunes, à mi-chemin entre rendez-vous d’étudiants et pot d’après le boulot : pas très attirant, le trio de célibataires encanaillés. J’observe donc les étagères en fond de bar. Les meilleures bouteilles trônent sur la plus haute étagère et il y en a deux exemplaires gigantesques, en verre fumé, estampillées à l’ancienne » : Calvados « Cuvée Chastel ».

Je jette un œil au verre de mon voisin, qui est toujours plein de son alcool doré. Alors par curiosité, et ne pouvant arrêter le patron dans son va-et-vient permanent, je fais à l’homme assis à ma droite : « C’est du Calvados que vous buvez ?

- oui. C’est ça, là »

Il désigne une bouteille ordinaire face à nous. « Vous connaissez ?

- Je connais le trou normand, c’est tout. J’aime bien. Et j’en bois rarement. »

Et puis j’explique que je pensais qu’il buvait de la grosse bouteille, là haut.

«  ça doit être du bon, celui-là.

- Justement, je voulais vous demander s’il était vraiment meilleur.

- Je pense. Il doit pas coûter le même prix non plus. »

C’est pour cela que je voulais, au moins, recueillir un avis. Imaginer un très bon Calva. Mais je n’ai rien contre sa Fine Calvados ; lui la regarde sans grande sympathie.

« Qu’est-ce que vous préférez comme boisson, lâche-t-il ?

- Dans les bons alcools, le whisky. »

Il aime bien le whisky. D’autres alcools me plaisent. Mais quand j’ai l’occasion de boire du whisky vraiment bon, c’est ce que je prends avec le plus grand plaisir. Je reviens à

la Cuvée

spéciale : « Et celle-là, pareil. Elle vaut le coup d’en goûter.

« Et vous, que préférez-vous boire ? » Il hésite avant de dire : « En ce moment, moi, c’est la bière. La bière.

- Oui, c’est bon. »

Ça se boit bien. Et c’est tellement agréable en été. Surtout en été, précise l’homme avec qui, tous les deux perchés sur nos tabourets, je sirote un café. Alors que le Calva, c’est nécessaire quand il fait froid, l’hiver.

En plus le Calva, c’est costaud. C’est pour ça que c’est que c’est bon aussi J’aime quand c’est costaud. »

« Costaud », il acquiesce.

Nous aurions encore beaucoup à dire. Il m’a déjà proposé deux fois de me faire servir un petit calva. Je préfère rentrer, ne pas rentrer plus longtemps dans ce jeu de piliers de comptoir complices et connaisseurs. J’explique :

« Ne croyez surtout pas que je me lasse de la conversation. Mais il faut que je rentre. »

Monsieur met les formes, lui aussi. Il sourit gentiment. M’impose un « Le café de la demoiselle, c’est pour moi ». Le patron accepte sur le champ.

 

_ Sortie du café, j’ai suivi le même trajet pour rentrer. Je croise les mêmes sdf assis par terre, en train de sombrer.

« Vous auriez une petite pièce ? »

D’un bond sur le côté je m’écarte. Ils me voient passer en riant : « Vous m’avez déjà taxée ! »

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